LES LIVRES SE CACHENT POUR MOURIR

L’édition en France c’est 3.000 maisons d’édition, plus de 100.000 auteurs, traducteurs et illustrateurs, 83.000 employés dont 15.000 dans les maisons d’édition, 3.000 dans le secteur de l’imprimerie, 15.000 dans la commercialisation (librairies etc.) et 35.000 dans les bibliothèques. En 2015 43.600 nouveaux titres ont été publiés plus 54.706 titres en réimpression… 553.241 exemplaires ont été mis sur le marché.

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Impressionnant, non? Ajoutons à cela qu’un Français sur trois avoue qu’il n’a pas lu un seul livre dans l’année. Il est donc facile à imaginer les piles de livres qui s’accumulent chez les éditeurs qui n’ont pas trouvé preneur/liseur. Ils ne cachent pas qu’un roman a deux mois pour trouver son public et une fois cette période terminé, pas de pitié – au pilon! Les frais de stockage et la logistique représentent un coût trop important pour les éditeurs. Quatre centres de destruction existent. A Vigneux-sur-Seine, le plus important, chaque jour 3 à 10 camions arrivent chargés d’une dizaine de tonnes de livres chacun.

1 500 tonnes  sont ainsi broyées toutes les cinq minutes pour se transformer en un ballot bien serré et ficelé, haut et large d’un peu plus de 1,30 mètre. En une heure, un  chargement est réduit en gros cubes prêts à partir pour une seconde vie. Cauchemar des auteurs et des éditeurs, mais recyclage « environnementalement correcte ». On ne parle pas beaucoup de ce triste sort qui attend romans et biographies, livres scolaires et guides touristique. dans un monde qui ne cesse pas d’accélérer il ne fait pas bon de perdre le statut de « dernière nouveauté ».

Paru en 1976 le roman « Une trop bruyante solitude » de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal laisse pénétrer le lecteur dans cet inferno du livre: Hanta, petit employé, travaille à Prague dans une entreprise où il est censé de presser du papier. Son efficacité est pourtant entravée par l’intérêt qu’il porte aux ouvrages destinés à la destruction dont il essaie de soustraire des livres qu’il considère comme « chefs-d’œuvre ». Tout comme les livres qui deviennent un rebut, Hanta lui aussi devient la victime d’une nouvelle ère où la productivité, la vitesse, l’efficacité sont les nouveaux maîtres.

Comment ne pas aussi penser à « Fahrenheit 451 », livre de Ray Bradbury et film de François Truffaut avec le magnifique Oskar Werner dans le rôle de Montag, « pompier/pyromane » missionné à traquer des livres et de les détruire au lance flamme et qui – lui aussi tombera sous l’emprise de la littérature et va commencer à soustraire des livres à leur destin.

Et il y a aussi la réalité: José Guttierez n’a que 19 ans quand pendant son travail d’éboueur en ramassant les poubelles dans un quartier riche de Bogota il tombe sur un exemplaire d’Anna Karénine… Pour le jeune homme, fils d’une mère qui adorait la lecture mais n’avait pas les moyens d’offrir des études à ses enfants, il n’y a pas d’hésitation. Il ramasse le livre et le met dans sa combinaison. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais elle continue.Pendant toute sa vie professionnelle, d’abord éboueur et ensuite chauffeur de camions benne, il continue à ramasser les livres. Plus de 30.000 ouvrages sauvés: romans, essais, dictionnaires, encyclopédies… Et ce trésor, cette bibliothèque  « La Fuerza de las Palabras » (La Force des Mots), amassé dans sa modeste maison, est mis à disposition des enfants pauvres des quartiers défavorisés. Affectueusement surnommé « Les seigneurs de livres » José Guttierez est devenu une figure légendaire à Bogota. Ces collègues éboueurs ont vite commencé à l’imiter et le cri « libros, libros » fait s’arrêter immédiatement le camion benne le temps de ramasser les livres pour les apporter ensuite à José.

Des initiatives semblables existent un peu partout, des livres gratuitement mis à disposition comme dans la girafe sur le haut de la Canebière à Marseille, la petite bibliothèque solidaire dans la rue du Panier, aussi à Marseille et d’autres bibliothèques de rue, de plage etc.

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Recycler des livres n’est alors pas uniquement les broyer pour refaire du papier pour rééditer des livres dans un cercle sans fin, c’est aussi les rendre accessible au plus grand nombre…

Une maison sans livres est comme un corps sans âme (Proverbe russe)

LES CHIFFONNIERS, GLANEURS NOCTURNES

La chanson de la hotte

Les chiffonniers, glaneurs nocturnes,
Tristes vaincus de maints combats,
Vers minuit quittant leurs grabats,
Dans l’ombre rôdent taciturnes.

La Hotte sur leurs reins courbés
Se dresse altière et triomphante ;
Voici ce que cet osier chante
Sur ces échines de tombés :

« Moi, la Hotte nauséabonde,
Épave où vivent cramponnés
Les parias et les damnés,
L’écume et le rebut du monde,

Fosse commune à tous débris,
Où ce qui fut Hier s’entasse,
En juge, chaque nuit, je passe,
Fatal arbitre du mépris.

À la lueur de sa lanterne,
Mon compagnon qui fouille au tas
Ramasse tout : chiffons, damas,
Sans que sourcille son œil terne ;

Tout ! auréoles de clinquant,
L’honneur vendu, des ailes d’ange ;
On trouve en remuant la fange
Les vertus mises à l’encan ;

Fausses grandeurs, fausses merveilles,
Et tant d’autres choses encor ;
Vieux satin blanc aux trois lis d’or,
Velours vert parsemé d’abeilles.

Dernier et fatal ricochet,
Tout va, tôt ou tard, à la hotte
Du chiffonnier qui dans la crotte
Fouille du bout de son crochet. »

Charles Burdin, Heures noires, Paris : Librairie des bibliophiles, 1876

J’ai trouvé cette chanson tout comme une mine d’informations sur le métier des chiffonniers sur le site du MHEU (Musée historique d’environnement urbain) un fabuleux musée virtuel.

Parmi les informations que j’ai glané sur ce site, il y a aussi des informations sur la plaque que les chiffonniers devaient porter en tant qu’insigne de leur profession. Depuis 1828 ce métier était règlementé par une ordonnance royale et le Préfet de police obligé de délivrer cette « médaille » aux biffins. Autres insignes de leur métier furent un petit balai pour remettre de l’ordre après avoir fouillé un tas d’ordures ainsi qu’une lanterne.

Pour son exposition sur l’économie des ordures (inauguration en mars 2017), le MuCEM a acquis une telle plaque.

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Elle appartenait à un dénommé L.F. Soudé et porte son nom et son numéro d’immatriculation sur une face. Sur l’autre, sont marqués l’année de l’attribution (1850) et des informations sur sa personne et sa physionomie: son âge (50 ans), sa taille (1m64cm), ses cheveux (gris blancs), son front (moyen), ses sourcils (châtaigne), ses yeux (bruns), son nez (moyen), sa bouche (moyenne), sa barbe (grise), son menton (rond) et son visage (ovale). Sans photo, la description donne un aperçu assez clair du porteur de la plaque.

Les plaques – et ainsi l’accès au métier – étaient d’abord accordés aux anciens forçats et repris de justice (ce qui est pour quelque chose dans la mauvaise réputation de la profession) ensuite aux vieillards, aux estropiés, et à tous ceux qui en font la demande quel que soit leur âge.

 

NOS ORDURES

Il n’est pas très tôt le matin. Je regarde de la fenêtre de mon appartement au 3e étage. Il y a une femme qui balaye le bout de la rue. Je la connais même si je ne sais pas son nom. Elle porte la blouse officielle de l’administration de Bangalore (BBMP) et elle collecte les ordures de chaque appartement dans l’immeuble. Parfois je la vois en passant à pied ou en voiture devant elle et je lui fais un signe de la main en souriant. Alors elle me sourit aussi. Un sourire magnifique, joyeux mais avec un petit air de gêne, comme si elle n’avait pas l’habitude que quelqu’un lui sourit, ne pas l’habitude d’être considérée comme un être humain par ceux qui habitent dans les appartements.

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Puis il y a une autre personne de la BBMP que je vois de mon troisième étage. Il arrive avec une petite camionnette ouverte pour ramasser les ordures de l’immeuble en face où il y a 24 appartements. L’immeuble dispose de trois grandes poubelles rondes, remplies à ras bord de toutes sortes de trucs collants – sacs en plastique pleins de déchets de cuisine, papier toilette, condoms, restes de curry pourries, poussière… Il plonge ses mains nues dans ces ordures de la classe moyenne et trie avec efficacité le bio-dégradable, les briques alimentaires, les sacs plastiques en putréfaction, les gobelets en polystyrène, les déchets recyclables.

Un homme de la classe moyenne qui habite l’immeuble le voit et fait une grimace de dégoût. Une dame avec un petit enfant passe devant lui en se bouchant le nez à cause de l’odeur pestilentielle. Et moi, propre et à bonne distance de la scène sur mon balcon du troisième étage me demande comment quelqu’un qui s’occupe de la merde des autres peut avoir un sourire si lumineux.

Shweta Taneja
(traduction: E.CK.)
In: Citizen Matters Bangalore, 02/02/2016

GARBAGE MAN

I wanna tell you about my baby,
Yeah…, she run off with the garbage man.
I wanna tell you about my baby,
Yeah…, she ran away with the garbage man.

She better come back quick,
Come back and empty my garbage can.

I don’t know where she’s been,
And I don’t know where she going.
I don’t know where she’s been,
And I don’t know where she going.

Please, come on back baby,
My trash can is really over flowin’.

You know babe,
She spend all my hard earned cash.
You know babe,
She spend all my hard earned cash.

She better come back this morning,
or a shotgun is bringing her back

L’histoire de la fille infidèle qui s’en va avec l’éboueur chantée par l’Irlandais Rory Gallagher, un des meilleurs guitaristes du blues rock, mort en 1995 à seulement 47 ans victime de son alcoolisme…