QUAND JE FAIS VROUM VROUM SUR MA MOTO

Pas sûr que Ramadan Abd Al-Nabi connaisse cette chanson mais il aime certainement, comme la plupart des jeunes hommes dans le monde entier, sa bécane. Il faut admettre qu’elle est vraiment magnifique!

Ramadan a acheté sa machine en 2015 pour s’en servir pour son travail d’acheteur itinérant de ferraille et de divers objets électroménagers hors usage. Il est, ce que l’on appelle en Égypte, un « roba bikia ». Cette appellation vient de l’Italien « roba vecchia » et désignait à l’origine les chiffonniers avant d’être appliquée plus largement  à tous ceux qui collectent des objets domestiques. Ces objets sont vendus pour quelques pièces par leurs propriétaires contrairement aux déchets ménagers qui sont ramassés par les zabbalîns. Les « bikia » indépendant comme Ramadan revendent ensuite leur butin à leur tour à des grossistes.

Le jeune homme a son domaine dans le gouvernorat de Fayoum mais de temps à autre un changement d’air s’impose et il étend son activité jusqu’au Caire. D’ailleurs le terme « roba bikia » est plutôt cairote tandis qu’à la campagne les acheteurs itinérants comme lui se nomment selon les objets qu’ils souhaitent acquérir en lancant leurs cris au microphone pour attirer l’attention: « ayya plastik qadîm » ou « ayya aluminia qadîm »…

Des tricycles comme celui de Ramdan Abd Al-Nabi sont fabriqués en Chine et arrivent sous forme de pièces détachés en Égypte où ils sont assemblés pour ensuite servir comme outil de travail mais aussi comme moyen de transport « public ». Les heureux propriétaires mettent toute leur imagination pour les (faire) transformer en véritables « bijoux » de la route, dont aucun ressemble à un autre. On ajoute photos et inscriptions, décorations diverses, couleurs et breloques…

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Sur la photo : Ramadan Abd Al-Nabi et Yann-Philippe Tastevin (co-commissaire de l’expo) à Fayoum, 2016 – (c) Denis Chevallier

Le MuCEM a pu acheter le beau tricycle de Ramdan pour l’intégrer dans ses collections et surtout dans l’exposition sur l’économie des ordures qui ouvrira en 2017 – et lui achètera un tout nouveau qu’il va certainement « customizer » magnifiquement.

A UN CHEVEU PRÈS

Cet article s’adresse plutôt aux Raiponces et autres princesses parmi vous, les hommes peuvent le sauter… quoi que, si je pense à Conchita Wurst

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Dans la rubrique « on ne gaspille RIEN » – avez vous déjà pensé à vos cheveux? Vous avez pris la décision de vous faire couper votre longue chevelure pour opter pour un look plus « garçonne ». Vous allez donc chez votre coiffeur préféré et demandez une coupe. Il s’applique et une fois la chose faite, voilà vos magnifiques mèches éparpillées par terre où une petite apprentie le balayera avant que la prochaine cliente arrive.

Et regardons maintenant ailleurs. Vers des femmes malades, obligées à subir des chimiothérapies ou autres traitements qui leur font perdre leurs cheveux. Si elles sont d’un milieu aisé, elle peuvent aller s’acheter une belle perruque en attendant que leur crâne se couvre à nouveau et une nouvelle chevelure commence à pousser. Mais toutes les femmes n’ont pas les moyens nécessaires mais ne souhaitent pas non plus ni d’assumer un crâne chauve, ni de porter un turban ou autre bonnet. Les cheveux restent dans l’imaginaire commun encore étroitement liés à la féminité, au désir, à la séduction (et cela non pas uniquement chez les musulmans!). Perdre ses cheveux est donc une expérience traumatisante pour une femme.

Sophie Bouxirot, une jeune femme en région parisienne, a donc créé en 2015 l’ association « Solidhair » qui récupère des cheveux pour les vendre ensuite à des perruquiers et avec cet argent soutenir les femmes atteintes d’un cancer qui ont des difficultés financières à se procurer une jolie perruque (la sécurité sociale ne rembourse que 125 euros ce qui est largement insuffisant).

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Un réseau de coiffeurs partout en France s’est mis en place et continue à le faire, qui soutient cette action. Sur leur site on explique comment il faut faire pour (faire) couper ses cheveux dans des conditions qui permettent ensuite aux perruquiers de les utiliser et aussi comment faire pour obtenir une aide financière.

Alors la prochaine fois quand l’envie vous prend de changer de look ou aussi quand vous décidez que ça devient trop enquiquinant de tresser chaque matin avant l’école les cheveux de votre fille – pensez à Solidhair et ne gaspillez plus une mèche!

LES LIVRES SE CACHENT POUR MOURIR

L’édition en France c’est 3.000 maisons d’édition, plus de 100.000 auteurs, traducteurs et illustrateurs, 83.000 employés dont 15.000 dans les maisons d’édition, 3.000 dans le secteur de l’imprimerie, 15.000 dans la commercialisation (librairies etc.) et 35.000 dans les bibliothèques. En 2015 43.600 nouveaux titres ont été publiés plus 54.706 titres en réimpression… 553.241 exemplaires ont été mis sur le marché.

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Impressionnant, non? Ajoutons à cela qu’un Français sur trois avoue qu’il n’a pas lu un seul livre dans l’année. Il est donc facile à imaginer les piles de livres qui s’accumulent chez les éditeurs qui n’ont pas trouvé preneur/liseur. Ils ne cachent pas qu’un roman a deux mois pour trouver son public et une fois cette période terminé, pas de pitié – au pilon! Les frais de stockage et la logistique représentent un coût trop important pour les éditeurs. Quatre centres de destruction existent. A Vigneux-sur-Seine, le plus important, chaque jour 3 à 10 camions arrivent chargés d’une dizaine de tonnes de livres chacun.

1 500 tonnes  sont ainsi broyées toutes les cinq minutes pour se transformer en un ballot bien serré et ficelé, haut et large d’un peu plus de 1,30 mètre. En une heure, un  chargement est réduit en gros cubes prêts à partir pour une seconde vie. Cauchemar des auteurs et des éditeurs, mais recyclage « environnementalement correcte ». On ne parle pas beaucoup de ce triste sort qui attend romans et biographies, livres scolaires et guides touristique. dans un monde qui ne cesse pas d’accélérer il ne fait pas bon de perdre le statut de « dernière nouveauté ».

Paru en 1976 le roman « Une trop bruyante solitude » de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal laisse pénétrer le lecteur dans cet inferno du livre: Hanta, petit employé, travaille à Prague dans une entreprise où il est censé de presser du papier. Son efficacité est pourtant entravée par l’intérêt qu’il porte aux ouvrages destinés à la destruction dont il essaie de soustraire des livres qu’il considère comme « chefs-d’œuvre ». Tout comme les livres qui deviennent un rebut, Hanta lui aussi devient la victime d’une nouvelle ère où la productivité, la vitesse, l’efficacité sont les nouveaux maîtres.

Comment ne pas aussi penser à « Fahrenheit 451 », livre de Ray Bradbury et film de François Truffaut avec le magnifique Oskar Werner dans le rôle de Montag, « pompier/pyromane » missionné à traquer des livres et de les détruire au lance flamme et qui – lui aussi tombera sous l’emprise de la littérature et va commencer à soustraire des livres à leur destin.

Et il y a aussi la réalité: José Guttierez n’a que 19 ans quand pendant son travail d’éboueur en ramassant les poubelles dans un quartier riche de Bogota il tombe sur un exemplaire d’Anna Karénine… Pour le jeune homme, fils d’une mère qui adorait la lecture mais n’avait pas les moyens d’offrir des études à ses enfants, il n’y a pas d’hésitation. Il ramasse le livre et le met dans sa combinaison. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais elle continue.Pendant toute sa vie professionnelle, d’abord éboueur et ensuite chauffeur de camions benne, il continue à ramasser les livres. Plus de 30.000 ouvrages sauvés: romans, essais, dictionnaires, encyclopédies… Et ce trésor, cette bibliothèque  « La Fuerza de las Palabras » (La Force des Mots), amassé dans sa modeste maison, est mis à disposition des enfants pauvres des quartiers défavorisés. Affectueusement surnommé « Les seigneurs de livres » José Guttierez est devenu une figure légendaire à Bogota. Ces collègues éboueurs ont vite commencé à l’imiter et le cri « libros, libros » fait s’arrêter immédiatement le camion benne le temps de ramasser les livres pour les apporter ensuite à José.

Des initiatives semblables existent un peu partout, des livres gratuitement mis à disposition comme dans la girafe sur le haut de la Canebière à Marseille, la petite bibliothèque solidaire dans la rue du Panier, aussi à Marseille et d’autres bibliothèques de rue, de plage etc.

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Recycler des livres n’est alors pas uniquement les broyer pour refaire du papier pour rééditer des livres dans un cercle sans fin, c’est aussi les rendre accessible au plus grand nombre…

Une maison sans livres est comme un corps sans âme (Proverbe russe)

HIT THE ROAD, JACK

Pour la plupart des gens – en Europe – les vacances sont bien terminés, terminés la plage ou la montagne, les escapades en bateau ou les randonnées, les nuits sous la tente ou la grasse matinée au relais château. Alors pour ne pas déprimer et parce que la joie anticipée fait du bien, voici un conseil pour planifier votre prochain voyage.

En supposant qu’en tant de lecteurs de ce blog vous vous intéressez donc à l’environnement et que des actions citoyennes vous parlent, je vous invite de consulter une carte un peu particulière: « Plan your trip » est une carte qui recense des actions de « clean up »(nettoyage) dans le monde. Vous pouvez donc découvrir un pays nouveau (ou revoir un que vous aimez bien), rencontrer des gens engagés et les aider à ramasser les déchets! Pour cela vous aurez le choix entre l’Albanie et le Brésil, la Slovénie et la Tunisie, Hawaï, l’Indonésie ou le Japon, le Nigeria ou la Suède….

Cette carte est l’œuvre de deux Suisses, Elisabeth Tricot et Nicolas Gluzman, tous les deux passionnés par les voyages, aimant la nature et souhaitant préserver la beauté des sites. L’événement qui a donné naissance à leur projet, était un voyage en Indonésie où ils ont découvert un jour une rivière dévastée par les rebuts de notre société moderne: sacs de plastique, bouteilles, boîtes de conserves etc. Une semaine plus tard c’était un nouveau choc de voir dans un parc naturel un singe jouer avec une bouteille en plastique. Ils ont demandé au gardien un sac et en quelques minutes il était rempli à ras bord de détritus… Alors si eux pouvaient le faire pourquoi d’autres voyageurs ne suivraient pas cet exemple? Pourquoi ne pas inciter les touristes de participer à la sauvegarde des lieux qu’ils visitent? En parlant avec d’autres voyageurs, ils ont vu leurs préoccupations largement partagées. Pourtant la plupart des gens ne passent jamais à l’acte. Pourquoi? Tout simplement parce qu’ils ne sont pas équipés, n’ont pas de sac vide sous la main, pas de gants, ne savaient pas où déposer les ordures collectées, bref pour des questions de logistique de base. En bons Suisses pragmatiques ils Elisabeth et Nicolas ont donc mis en route un projet qui devra prendre de ‘envergure à fur et à mesure: inviter des groupes de citoyens du monde entier engagés à inscrire leurs actions sur la fameuse carte et proposer aux voyageurs de se joindre à eux lors d’un séjour – la motivation ne sera plus entravée par la logistique!

Première étape: créer une communauté via leur site Web « My green trip » et leur page Facebook et Instagram, puis développer les outils internet et les applications et trouver des partenaires.

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Ce que vous pouvez déjà faire: adhérer à la communauté et faire connaître le projet, inscrire les actions que vous organisez, participer lors d’un voyage à un nettoyage local – et pour les très motivés et cadors de l’informatique aider à développer les outils numériques.

Alors, bon voyage et j’attends vos photos de nettoyages lointains!

4 QUESTIONS À… NEZIHA GOUIDER-KHOUJA

Pour la reprise après les vacances, j’ai le plaisir de vous présenter une passionaria de l’environnement, la docteur Neziha Gouider-Khouja, professeur de neurologie. Cette belle Gabesienne, scientifique hautement diplômée et distinguée à plusieurs reprises pour ses recherches sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, membre de nombreux comités et conseils dans le domaine de la médecine et pour le Ministère de la Santé, trouve malgré toutes ses activités professionnelles le temps de militer avec une inépuisable énergie pour une Tunisie plus propre, plus respectueuse de l’environnement et des richesses de son patrimoine via le groupe citoyen « On a été embêté pour vous » (OAEEPV). Mais les ambitions de ce groupe citoyen dépassent l’écologie qu sens stricte pour s’impliquer aussi pour la santé, le respect des lois ou pour la cause animale et est ainsi une preuve de plus d’une société civile tunisienne active et engagée, prête à mettre les « mains dans le cambouis ».

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Qu’est ce que (ou qui) vous a inspiré à vous mobiliser pour la propreté, l’environnement?

Il s’agit plus précisément d’une bataille contre l’état d’insalubrité insoutenable du pays. Cette bataille comporte pour moi une symbolique évidente, que je ne cesse de répéter : on ne peut rien construire de propre sur du sale. J’y ai été amenée de façon logique par la conviction, mi-2015, que notre habituation récente à la saleté « matérielle » (les ordures) ne fait que refléter une forme d’acceptation et de démission devant toutes les formes de « saleté », y compris et surtout la « saleté » morale. C’est arrivé à un moment d’apathie citoyenne, il s’agissait donc d’une ré-orientation logique  de la pensée et des actes : pendant 4 années j’étais, comme des milliers de citoyens, occupée à « observer » l’écriture de la nouvelle Constitution, à parer aux dérives dans son écriture, à « observer » aussi les dérives dans la gouvernance du pays et ces urgences vitales nous ont caché un moment , la dégradation progressive des comportements citoyens et civiques (qui n’ont certes jamais été au top) sur les années 2011 à 2015. Cette dégradation des valeurs citoyennes était devenue pour beaucoup inacceptable. C’est là que l’idée de canaliser les efforts vers une espèce de prise de conscience, de « rééducation » à la citoyenneté est née. L’activisme citoyen n’est ici qu’un outil de travail sur cette «rééducation» indispensable à tout progrès dans le pays.

Le désengagement de l’État est pour quelque chose dans notre mobilisation, mais même si l’état n’était pas désengagé, la contribution des individus à la vie de la Cité est une nécessité et c’est cela que nous essayons de faire comprendre à tous nos concitoyens. Elle l’est d’autant plus dans la situation actuelle de désengagement de l’état de tout ce qui concerne la vie de la Cité, justement. Ne pas attendre les consignes « d’en haut », ne pas vivre dans une mentalité d’assistés, prendre le destin du pays en main, chacun devant se considérer comme responsable, au même titre que les décideurs, de l’avenir du pays. Il s’agit d’accepter de s’engager dans une démarche « bottom-up » qui se substituerait à la démarche actuelle de gouvernance « up-down ». Dans notre vision, le citoyen, qui qu’il soit, où qu’il soit, peut devenir un donneur d’ordre implicite par le biais de ses actions. Un exemple simplissime : quand je retrousse mes manches et que je vais ramasser les ordures des autres quelque part, la municipalité est obligée de venir ramasser les ordures collectées. Et elle le fait toujours, à chaque fois que moi, en tant que citoyen, je nettoie. Ne suis-je pas devenue par la simple action un donneur d’ordre ? Sans fracas, sans écrits, sans demande, sans agressivité, sans conflit. Avec le sourire. Toutes nos actions portent, sur la lutte contre les négligences, le laxisme, l’incivilité et l’insalubrité.

Est-ce que c’est difficile de mobiliser les gens?

Pas vraiment. Les citoyens peuvent être répartis en 3 types : les convaincus de leur responsabilité individuelle et qui bougent déjà depuis longtemps, même seuls, ceux là sont peux nombreux ; les irréductibles que la vie de la Cité n’intéresse pas et n’intéressera jamais de toutes façons qui sont aussi peu nombreux ; et puis il y a la majorité écrasante qui vit mal ce qui arrive au pays mais qui ne sait pas quoi faire et comment faire pour y remédier et qui donc ne fait rien mais n’en pense pas moins. Notre mobilisation permanente aide ceux-là à devenir des citoyens agissants et impliqués.

Est-ce qu’il y a des thèmes plus difficiles à faire passer?

 Aucun thème n’est plus difficile à passer que celui des ordures, ce n’est ni glamour ni valorisant de ramasser les ordures des autres et pourtant, ce thème qui écorne quelque part l’image de chacun est bien passé. Par contre et pour les mêmes raisons, il y a un peu de mal à y faire adhérer « l’élite » intellectuelle, politique et artistique, qui a un fort impact médiatique mais ils y viendront et commencent déjà à en parler, timidement, à mots couverts, comme si c’était honteux. Mais il y a plus honteux que de ramasser des ordures ou d’en parler : c’est vivre dedans et fermer les yeux ! Les diplômes et le CV, si prestigieux soient-ils ne mettent personne au dessus du lot quand il s’agit d’être citoyen responsable. Il n’y a absolument aucun rapport dans ma tête, entre mon statut professionnel, social et personnel et mon statut de citoyenne. Le statut de citoyen nous est offert par le simple fait de naitre dans un pays donné et la seule différence acceptable entre les citoyens est celle de leur contribution ou non au progrès dans leur pays. Le reste est de l’ordre du champ de compétence de chacun dan son domaine. Tout un chacun EST citoyen, quelles que soient son CV et ses diplômes. S’il y a une chose pour laquelle nos statuts socio-professionnels peuvent aider dans la rééducation citoyenne c’est juste pour donner l’exemple, pour montrer que nul n’est au dessus de la citoyenneté. Et que contribuer à rendre le pays plus digne, même si cela passe par ramasser les ordures, ne nous diminue en rien, au contraire. Plus prosaïquement, il n’y a pas de sentiment plus jubilatoire que celui d’être dans l’action bénévole, généreuse de nettoyer l’espace commun. Il se crée à chaque action, spontanément une ambiance de fête, qui est bénéfique pour le moral, comme l’est toute joie et toute fête. Dans la morosité ambiante, cet apport festif n’est pas à négliger !

La campagne qui s’annonce difficile pour nous, est celle que nous lançons actuellement sur l’application des lois et le respect des lois et qui s’est imposée à nous d’elle même. Les constats faits sur terrain et les publications du groupe dénonçant incivilité et laxisme, aussi bien des citoyens que des institutions, pointent tous vers un facteur indispensable de correction de la situation dans le pays. Ce facteur est le respect des lois par tous et l’application des lois sur tous. Or, si nous en sommes dans cette situation de dégradation de tout, c’est parce que les dépassements ne sont pas sanctionnés. Il devient urgent d’appliquer la loi. Aucune action citoyenne ne peut aboutir si elle est détruite par des contrevenants qu’on ne sanctionne pas. Les autorités n‘ont pas le choix, elles seront amenées à adhérer à cette démarche non parce que c’est nous qui l’exigeons avec force, mais parce que cette initiative qui nous paraît évidente, finira grâce à notre persévérance par s’imposer à tous comme une solution simple et incontournable. L’état n’est pas une nébuleuse située quelque part dans la galaxie, il est fait d’hommes et femmes comme vous et moi, de citoyens au même titre que vous et moi, capables de se remettre en question et capables d’analyse. Ils et elles viendront un jour ou l’autre à cette évidence. C’est cela aussi le rôle d’éclaireur que nous nous donnons. Nous ne voulons pas nous substituer à quelque institution que ce soit, mais nous pouvons montrer le chemin.

Ne vous vous sentez jamais découragée?

Je ne me décourage jamais. Et comment le pourrais-je ? J’ai commencé seule, suivie par une poignée d’amis, sans argent, sans sponsor, sans publicité et aujourd’hui nous sommes 18 000 et nous avons à notre actif 18 actions citoyennes en 12 mois. En un an, les administrateurs et les membres du Groupe pour la Nouvelle Culture Citoyenne en Tunisie « On a été embêté pour vous » ont mené et concrétisé 18 actions citoyennes : 10 éditions de l’action mensuelle « Je nettoie ma rue et je la maintiens propre », chaque dernier dimanche de chaque mois depuis août 2015, l’action « Dénonçons les écoles à environnement sale et nettoyons-les » en octobre 2015, l’action «Un arbre, un citoyen » le 8 Novembre 2015, l’action « Je nettoie mon patrimoine architectural et archéologique et je le maintiens propre » en avril 2016, 2 éditions de l’action « Je nettoie ma plage et je la maintiens propre » en mai et juillet 2016, l’action « Dénonçons les facultés sales » avec création d’un court-métrage totalement réalisé et produit par des membres du groupe en juin 2016 et l’action « Arrêtons de piétiner notre patrimoine » pour remédier au piétinement des mosaïques millénaires par les milliers de visiteurs, avec don de chaussons jetables (consommation de 2 ans soit 400 000 chaussons offerts par les membres du groupe OAEEPV) au Musée National du Bardo le 28 juin 2016. Le tout réalisé quasi sans argent, grâce aux dépenses des membres participant aux actions chacun achetant de sa poche ce qui était nécessaire à sa contribution à l’action. La seule action qui a nécessité de grands moyens est celle du Bardo, un citoyen membre du groupe ayant offert de sa poche le payement de la consommation de chaussons pour un an. Le donateur pour l’année suivante est aussi un membre du groupe OAEEPV. Le groupe OAEEPV par le biais de ses administrateurs est aussi partie prenante essentielle, avec le groupe citoyen « Essa ras el mel » (La santé est capitale), de la campagne grand public de sensibilisation à l’AVC « Fissa Jalta » réalisée en février 2016 et offerte gratuitement au ministère de la Santé Publique et aux médias par les citoyens. Nous sommes très fiers de cette campagne, la première dans ce genre dans le monde arabe et en Afrique!

Qui pourrait se décourager dans des conditions pareilles ? Le groupe OAEEPV contribue déjà à opérer un changement ! Le bilan exhaustif des objectifs atteints serait trop long à détailler et sera publié prochainement sur notre blog « Le Journal d’un Groupe Citoyen Tunisien » à l’occasion du premier anniversaire de la création du groupe. Nous avons pu créer une dynamique de citoyenneté active un peu partout, nous avons rendu banal et gratifiant l’acte de nettoyer l’espace public par les citoyens, nous obtenons beaucoup de résultats positifs dans les réclamations faites à travers le groupe auprès des institutions publiques et privées, nous travaillons maintenant souvent en partenariat groupe citoyen-institutions dans nos actions. Nous avançons. Aucun autre choix n’est envisageable.

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Liens utiles

– chaine du Groupe LIVE STREAM OAEEPV https://www.facebook.com/OAEEPV/

– page Fb du groupe AEEPV https://www.facebook.com/groups/1159574887392152/

– magazine Web du groupe OAEEPV : « Le Journal d’un Groupe Citoyen Tunisien » ou « Blog des Embêtés », qui publie régulièrement des articles en 3 langues Français, arabe et anglais sur la vision et la philosophie du groupe http://www.nouvelle-culture-citoyenne.org/

– lettre ouverte à tous les tunisiens, http://www.nouvelle-culture-citoyenne.org/2016/06/lettre-ouverte-a-tous-citoyens-et-responsables-en-tunisie.html) pour la campagne #appliquezlaloi #respectezlaloi.

 

 

 

CAMILLE, TU VEUX PAS UNE BOULE VANILLE?

C’est l’été, il fait chaud (au moins à Marseille) et on mange des glaces. En Indonésie aussi on mange des glaces et on en a mangé pas mal pour procurer sa matière première à l’architecte Florian Heinzelmann!

Ce jeune architecte d’origine allemande a remarqué au fil de ses voyages en Indonésie que beaucoup de villages manquent d’un espace commun. En s’appuyant sur son agence de design Shau basée au Pays Bas il a donc décidé de créer une petite bibliothèque communale dans le village de Bandung. Il souhaitait offrir aux villageois un espace pour se réunir, aux jeunes un moyen de découvrir la littérature et à tout le monde un lieu pour bouquiner paisiblement et passer un temps agréable ensemble.

2000 conteneurs de crème glacée étaient nécessaire pour construire un très joli bâtiment aux lignes épurées. Utiliser ces récipients était pour Florian Heinzelmann aussi un moyen pour démontrer que l’on peut, non doit!, réutiliser des déchets plastiques qui représentent en Indonésie comme partout un vrai fléau pour l’environnement.

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Utilisant les fonds et les ouvertures des conteneurs comme un langage informatique (les fonds correspondent à 1 et les hauts à 0) il a inscrit sur les murs en code binaire « Books are the windows to the world » (Livres sont des fenêtres sur le monde).

Après avoir monté un escalier on arrive dans la bibliothèque avec ses étagères et bancs en bois tandis que les murs dont le plastique est semi transparent laissent filtrer la lumière du jour créant une ambiance apaisante et douce.

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Temps de quitter l’Indonésie et d’aller chez Vanille Noire pour manger un sorbet au gingembre 🙂

4 QUESTIONS À…LA GREENER FAMILY

Aujourd’hui je vous présente une famille

qui se sensibilise aux gestes éco-citoyens et qui cherche à réduire son empreinte sur l’environnement par la réduction de ses déchets, la recherche d’économie d’énergie, de l’anti-gaspi …

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La Greener Family c’est la maman, Carole (38 ans), le papa, Julien, (40 ans) et leurs enfants de 7 et 5 an et elle s’est lancée le défi de devenir une famille plus saine dans 365 jours et de partager leurs expériences, leurs réussites, leurs difficultés etc. sur un blog.

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J’ai posé quatre questions à Carole et Julien:

  1. Quel était le moment (événement) déclencheur de votre démarche?
    Julien: Carole m’a présenté la démarche suite à sa motivation personnelle de réduire nos déchets en février 2015, de mettre en place des actions écoresponsables dans la continuité de notre engagement entamé à la naissance de notre fille en 2008. Cela faisait suite à la lecture du livre de Béa Johnson. Alors que Carole me présentait le livre, je lisais le sous-titre « Comment j’ai fait 40% d’économie ! ». J’ai dit « chiche » ! Depuis nous écrivons notre blog à 4 mains pour raconter notre démarche du Zéro Déchet à l’écofrugalité.
  2. Quelle était l’habitude la plus difficile à changer?
    Carole:  Me concernant, mes visites à l’hypermarché reste un passage obligé pour quelques produits. Le plus dure, résister à la tentation !
  3.  Comment est-ce que votre démarche est considéré par vos parents?
    Nos familles sont plutôt curieuses, voire moqueuses parfois. Toutefois, les repas de famille sont l’occasion d’échanger sur notre démarche, notre blog, nos conférences et nous commençons à voir quelques remarques qui montrent que nous les interpellons 🙂
  4.  Comment les enfants s’habituent à votre style de vie?
    Ils s’habituent très bien et très vite. Ce sont les premiers à traquer le moindre déchet et vont même jusque les ramasser dans notre village pour le nettoyer ! Lors des achats, ils sont aussi à l’écoute de nos commentaires sur les emballages et les raisons de nos choix. Quant à l’alimentation, ils sont ravis d’avoir des goûters fait maison ou acheté en vrac et des jus d’orange frais.

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TOUT EST BON DANS…LA BANANE

L’Ouganda est, comme d’autres pays d’Afrique, menacé par la déforestation due à l’utilisation du bois et/ou du charbon de bois pour la cuisson des aliments. Le charbon cause partout dans le monde des dommages environnementaux importants: tous les 3 secondes disparaissent l’équivalent de 36 terrains de foot de forêts dans le monde, la pollution de l’air cause 7 millions de morts par an (source: OMS)…

En Ouganda une famille pauvre utilise presque la moitié de leurs revenues (0,8 $) pour acheter du combustible. Le charbon de bois, produit d’une façon peu efficace où presque 80% de l’énergie sont perdus, chauffe des petits poêles qui à leur tour sont très gourmands en combustible pour un résultat moins que médiocre. Ce charbon de bois est en plus cher et contribue ainsi à enfermer les personnes pauvres dans leur dénuement en les privant d’investir dans l’éducation de leurs enfants ou des soins médicaux.

Face à ce constat deux Français, Vincent Kienzler et Alexandre Laure, on relevé le défi. Installé à Kampala, la capitale de l’Ouganda, ils ont fondé leur entreprise « Green Bio Energy » pour produire un combustible renouvelable, bon marché et moins nocif. Le résultat de leurs recherches s’appelle « Briketi ». Pour cela on collecte des peaux de bananes – un des ingrédients principaux de la cuisine ougandaise – et d’autres déchets organiques directement chez les habitants. Les peaux sont ensuite débarrassées de résidus (feuilles…) et étalées pour sécher au soleil. Dans un bidon on les réduit ensuite en cendres et une fois refroidies les mélange avec un peu de farine de manioc diluée. Avec la pâte ainsi obtenue une machine très simple moule des briquettes.

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La matière première, des déchets organiques, est simple à se procurer, le temps de consommation des briquettes est deux fois plus long que celui du charbon de bois traditionnel et – cerise sur le gâteau! – ces « briqueti » ne dégage ni fumé ni suie… Résultat: la pression sur les forêts diminue, la santé des utilisateurs est préservée et les dépenses pour le combustible baissent.

L’entreprise a aussi développé des poêles très simples mais plus efficaces se basant sur des techniques occidentaux et le savoir-faire local et les machines pour mouler les briques peuvent être adaptées aux besoins individuels, c’est à dire une famille (ou une épicerie, un commerce quelconque) peut produire sur place. Des stages ont été mis en place pour sensibiliser les gens aux questions environnementales tout comme des formations plus poussées comme le management d’une micro-entreprise, les bases de comptabilité et de marketing etc.

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LES VILLES CONTINUES

La ville de Léonie se refait elle-même tous les jours: chaque matin la population se réveille dans des draps frais, elle se lave avec des savonnettes tout juste sorties de leur enveloppe, elle passe des peignoirs flambants neufs, elle prend dans le réfrigérateur le plus perfectionné des pots de lait inentamés, écoutant les dernières rengaines avec un poste dernier modèle.

Sur les trottoirs, enfermés dans les sacs de plastique bien propres, les restes de la Léonie de la veille attendent la voiture du nettoiement. Non seulement les tubes de dentifrice aplatis, les ampoules mortes, les journaux, les conditionnements, les matériaux d’emballage, mais aussi les chauffe-bains, les encyclopédies, les pianos, les services de porcelaine: plutôt qu’aux choses qui chaque jour sont fabriquées, mises en vente et achetées, l’opulence de Léonie se mesure à celles qui chaque jour sont mises au rebut pour faire place à de nouvelles. Au point qu’on se demande si la véritable passion de Léonie est vraiment, comme ils disent, le plaisir des choses neuves et différentes, ou si ce n’est pas plutôt l’expulsion, l’éloignement, la séparation d’avec une impureté récurrente. Il est certain que les éboueurs sont reçus comme des anges, et leur mission qui consiste à enlever les restes de l’existence de la veille est entourée de respect silencieux, comme un rite qui inspire la dévotion, ou peut-être simplement que personne ne veut plus penser à rien de ce qui a été mis au rebut.

Où les éboueurs portent chaque jour leurs chargements, personne ne se le demande: hors de la ville, c’est sûr; mais chaque année la ville grandit, et les immondices doivent reculer encore; l’importance de la production augmente et les tas s’en élèvent, se stratifient, se déploient sur un périmètre plus vaste. Ajoute à cela que plus l’industrie de Léonie excelle à fabriquer de nouveaux matériaux, plus les ordures améliorent leur substance, résistent au temps, aux intempéries, aux fermentations et aux combustions. C’est une forteresse de résidus indestructibles qui entoure Léonie, la domine de tous côtés, tel un théâtre de montagnes.

Voici maintenant le résultat: plus Léonie expulse de marchandises, plus elle en accumule; les écailles de son passé se soudent ensemble et font une cuirasse qu’on ne peut plus enlever; en se renouvelant chaque jour, la ville se conserve toute dans cette seule forme définitive: celle des ordures de la veille, qui s’entassent sur les ordures des jours d’avant et tous les jours, les années, lustres de son passé.

Le déjet de Léonie envahit peu à peu le monde, si sur la décharge sans fin ne pressait, au-delà de sa dernière crête, celle des autres villes, qui elles aussi rejettent loin d’elles-mêmes des montagnes de déchets. Peut-être le monde entier, au-delà des frontières de Léonie, est-il couvert de cratères d’ordures, chacun avec au centre une métropole en éruption ininterrompue. Les confins entre villes étrangères ou ennemies sont ainsi des bastions infects où les détritus de l’une et de l’autre, se menacent et se mélangent.

Plus l’altitude grandit, plus pèse le danger d’éboulement: il suffit d’un pot de lait, un vieux pneu, une fiasque dépaillée roule du côté de Léonie, et une avalanche de chaussures dépareillées, de calendriers d’années passées, de fleurs desséchées submergera la ville sous son propre passé qu’elle tentait en vain de repousser, mêlé à celui des villes limitrophes, enfin nettoyées: un cataclysme nivellera la sordide chaîne de montagnes, effacera toute trace de la métropole sans cesse habillée de neuf. Déjà les villes sont prêtes dans le voisinage avec leurs rouleaux compresseurs pour aplanir le sol, s’étendre sur le nouveau territoire, s’agrandir elles-mêmes, rejeter plus loin de nouvelles ordures.

(Italo Calvino, Les Villes Invisibles)

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(c) Ray van Eng Photography / Moment / Getty Images

AU FOND DE TON VIEUX PORT S’ENTASSENT LES CARCASSES DES BATEAUX DÉJÀ MORTS…

 (Loguivy de la mer, chant marin)

Démanteler autrefois un bateau permettait de récupérer un bois de haute qualité qui pouvait être employé pour construire un nouveau bateau ou pour des constructions à terre, voire du mobilier. D’ailleurs la légende qui veut que les maisons marseillaises à trois fenêtres ont leur origine dans le réemploi des mâts de bateaux n’a aucun fondement scientifique.

La démolition des navires d’aujourd’hui avec leurs coques en acier et bourrés de matières dangereuses (par exemple amiante) est plus difficile et surtout plus coûteuse. Considérés comme des « déchets toxiques » leur démantèlement est, en principe, soumis à des règles strictes surtout en ce qui concerne la sécurité des ouvriers qui y travaillent. La convention de Hong Kong, adoptée en mai 2009 par l’Organisation maritime internationale, encadre en théorie le démantèlement des navires en fin de vie. Elle n’est pourtant toujours pas entrée en vigueur, faute des 15 ratifications nécessaires. Trois pays seulement sont passés à l’acte en mars 2016: la France, la Norvège et le Congo.

En pratique on échoue un navire en fin de vie en le projetant à pleine vitesse à marée haute sur une plage en faible pente et sans rochers qui peuvent gêner les manœuvres et où il est immobilisé à marée basse. Aucun contrôle sur le rejets polluants s’effectue… ils sont dépecés selon la montée des marées dans et hors de l’eau. Il va de soi que ni la sécurité des ouvriers ni la récupération des déchets toxiques soient ainsi garantis.

Plus de 50.000 navires marchands sillonnent aujourd’hui les océans et la démolition est devenu un business florissant et cela surtout dans des pays comme le Bangladesh, le Pakistan ou l’Inde. Selon l’association Robin des Bois qui surveille de près ce commerce, il n’y a qu’une minorité des navires qui sont démolis sur des chantiers en Europe. Les prix des pays asiatiques avec une main d’œuvre largement exploitée sont imbattables. Même les armateurs chinois envoient leur rafiots au Bangladesh. Les conditions de travail des ouvriers, parfois très jeunes, sont extrêmement dangereuses. Ils risquent leur vie et leur santé dans des chantiers où les normes de sécurité, pour peu qu’elles existent, sont très insuffisantes. C’est dans certains pays un véritable drame humain, se nourrissant de la misère des populations locales.

Goggles and scarf shield this worker from the choking dust and smoke of the ship breaking yard.  Old ships are brought from all over the world to be cut up for scrap metal.  National Geographic:  John McCarry (March 1995)  Bombay: India's Capital of Hope, National Geographic. (vol.187 (3)) pp.  42-67

From the tangle of deconstruction in the shipbreaking yard of Bombay, a young welder stepped forward in 1994 to engage the camera. His eyes, redoubled by the goggles on his forehead, draws our gaze away from the ship’s empty hold and we wonder about this young man, whose face we cannot read fully, whose head is protected only by the cloth that covers his mouth. The promise of our gaze meeting, through a photograph, the look of another across time and vastly different spaces is one of the signature strengths of McCurry’s art.
Bannon, Anthony. (2005). Steve McCurry. New York: Phaidon Press Inc., 27.
Jeune soudeur, Mumbai, Inde, 1994

Les Européens portent ainsi une lourde responsabilité dans la dégradation du littoral des pays-hôtes et la misère des ouvriers. Propriétaires de 40% de la flotte marchande mondiale ils ne se soucient pas beaucoup du recyclage: 74% des navires allemands et 87% des navires grecs ont ainsi été jetés sur les côtes asiatiques en 2015. Bon élève est par contre la Norvège qui a démantelé 13 de ses 17 bateaux en fin de vie dans des installations respectueuses de l’environnement et des normes sécuritaires!

Les conséquences de cette politique du bas prix sont catastrophiques pour les gens qui travaillent sur les chantiers ou vivent à proximité: au Bangladesh la concentration dans l’air d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) s’avère cancérigène sur 18 sites sur 23. Et en Inde, des taux très élevés de métaux lourds et d’hydrocarbures ont été relevés dans l’eau et les sédiments, ainsi qu’une forte concentration de microplastiques  (plus de 80 milligrammes par kilogramme de sédiments). Selon l’union mondiale IndustriAll, l’industrie indienne de démantèlement a connu 470 décès dans les chantiers entre 1983 et 2013.

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Si l’Inde et le Bangladesh se partagent la première place en alternance, la Chine – qui a en vain voulu les concurrencer – ne démolit que des navires chinois et nord-coréens. Le Pakistan est installé sur le créneau des gros tankers ou vraquiers et la Turquie sur celui des ferries et cargos exploités en Méditerranée et des navires de la Royal Navy.

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En Turquie le plus important site de démolition navale se trouve à Aliaga près d’Izmir. L’acier récupéré représente une partie importante des provisions de ce métal pour le pays. Jusqu’en juillet 2011  660.000 tonnes de métal ont été obtenues suite à 275 démolitions navales et ce n’est que récemment que les autorités ont commencé à se soucier aussi des problématiques liées à l’environnement et à la santé des ouvriers.

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Brasil Star 2 à Aliaga, avril 2012

Certains se souviennent dans ce contexte peut être encore de l’errance du « Clemenceau », porte-avion et fleuron de la marine française. Construit en 1955 à Brest, son heure a sonné en 1997 mais ce n’était qu’en 2005 que son démantèlement final fut décidé. Le 31 décembre 2005 le Clemenceau a donc quitté Toulon pour faire route vers Alang en Inde et cela malgré les protestations qui reprochaient le manque d’équipements adéquates pour les déchets toxiques et les conditions de travail sur ce site. En janvier 2006 la Court Suprême Indienne a défendu au navire l’accès à Alang. Abordé par des activistes, retenu par les autorités égyptiennes mais finalement autorisé à traverser le canal de Suez, le Clemenceau a dû enfin regagner les eaux nationales sur décision du Conseil d’État. Le longue périple du porte-avion a trouvé sa fin dans un chantier naval anglais près de Hartlepool où son démantèlement a commencé en novembre 2009 et fut terminé fin 2010.